Les uniformes dans les établissements scolaires : mettre des bâtons dans les roues de l’uniformisation

jeudi 11 janvier 2024
par  SUD Education 92

  Un historique fantasmé de l’uniforme

Il nous paraît important de rappeler pour commencer cet article, que contrairement à ce que beaucoup de nostalgiques d’un âge d’or fantasmé affirment, l’uniforme n’a jamais été obligatoire auparavant en France. Le port de la blouse généralisé chez la plupart des élèves jusque dans les années 70 n’était pas encadré par la loi, mais reposait simplement sur l’usage. Il s’agissait en effet de protéger les vêtements contre les tâches d’encre, et dès l’apparition des premiers stylos « bic » le port de la blouse décline lentement pour disparaître ensuite. Il n’est pas question à l’époque d’uniformisation pour gommer les différences sociales entre les élèves. D’ailleurs cela aurait été bien vain : tandis que certaines familles recyclent du tissu et confectionnent les blouses, d’autres partent dans les grands magasins parisiens à chaque rentrée pour habiller leurs enfants.

On voit donc que la volonté du ministère aujourd’hui ne peut se résumer à un simple « retour » au port de l’uniforme et que d’autres valeurs et intérêts sont véhiculés. Nous allons maintenant essayer de résumer ce qu’il en est réellement.

  Les annonces

Dans un guide à destination des collectivités territoriales volontaires distribué en décembre, le ministère de l’Éducation nationale a donné les contours de l’expérimentation de l’uniforme à l’école, au collège et au lycée. Les collectivités volontaires devront fournir un trousseau aux élèves (5 polos, 2 pulls, 2 pantalons), le tout pour une valeur de 200 euros. Cette somme sera partagée entre les collectivités et l’État
L’expérimentation du port de l’uniforme devrait durer deux ans et commencer pour la plupart des communes volontaires en septembre 2024, à l’exception des plus motivées qui plaident pour un début du port de l’uniforme dès le printemps prochain aux alentours du mois de mars.
A noter que le cadre peut encore évoluer, des annonces qui devaient être officialisées au mois de décembre ayant été reportées au début de l’année 2024.

  Un virage à droite toute

Non content de flatter l’électorat réactionnaire, le ministre Attal poursuit “l’extrême droitisation” de sa politique éducative entamée à la rentrée avec l’interdiction des abayas en annonçant à présent l’expérimentation de l’uniforme à l’école.

Les dernières annonces “Choc des savoirs” sont particulièrement inquiétantes : Gabriel Attal renonce à la visée émancipatrice de l’accès pour tou·tes les élèves à un même enseignement, en dessinant des voies de ségrégation scolaire avec les groupes de niveau ou les classes prépa-lycée, mais aussi en renforçant le poids des résultats dans le parcours scolaire des élèves. Le député d’extrême droite Roger Chudeau a reconnu dans ses annonces le programme pour l’éducation du Rassemblement national et s’en est félicité.

SUD éducation est particulièrement inquiet de la place grandissante du discours de la l’extrême droite dans le débat public sur l’école. Le Rassemblement national mise sur son discours sur l’école pour progresser dans l’opinion publique en faisant porter la responsabilité de la “baisse du niveau” sur les élèves racisé·es, les élèves en situation de handicap et les élèves en difficultés sociales.
SUD éducation entend s’opposer fermement à l’extrême droitisation de la politique éducative du ministère. Nous ne cesserons de rappeler, avec SUD éducation, la tâche qui incombe au service public d’éducation : celle de former, d’émanciper et de faire émerger chez les élèves un esprit critique.

  L’uniforme pour mettre fin aux inégalités, vraiment ?

Parmi les soutiens à la mesure de Gabriel Attal, on retrouve le maire R.N. de Perpignan, Louis Aliot qui reprenant la communication du ministère s’est réjoui de pouvoir « habituer les élèves à être sur un même pied d’égalité » .
Pourtant les études sur le port de l’uniforme en milieu scolaire sont loin d’aller dans ce sens. Elles ont même d’ailleurs tendance à démonter ce raisonnement.

Sans prendre de pincettes, le sociologue Michel Fize dénonce ainsi la supercherie en interview :

« C’est assez stupide d’avoir pu penser qu’en mettant un vêtement particulier sur le dos des élèves, on allait gommer les origines sociales, les situations personnelles au quotidien, les différences culturelles, les différences dans l’apprentissage. », tandis que son confrère François Dubet, sociologue de l’éducation souligne : « Ce qui fait l’égalité et l’inégalité entre les élèves, c’est le mode de regroupement des élèves dans les établissements ».

Si l’on veut s’en convaincre, on peut étayer leurs déclarations en allant consulter les statistiques de l’INSEE. On lira alors que sur la tranche d’âge des élèves âgé·es de 15 ans, la France compte parmi les pays européens où les inégalités sociales de résultats scolaires sont les plus fortes. En 2018 par exemple, les élèves de milieu social favorisé en France ont un score moyen en compréhension de l’écrit comparable à leurs homologues de Suède et du Royaume‑Uni (550), alors que les élèves français·es de milieu social défavorisé ont eux et elles, un niveau inférieur de respectivement 17 et 28 points à ceux et celles des deux mêmes pays.

Et il faudrait compter sur cette mesure cosmétique pour réduire ces écarts ?
On sait de toute façon grâce aux pays anglo-saxons que l’uniforme ne fait que déplacer le problème des inégalités sans le résoudre.
Il est toujours possible pour les élèves de se démarquer par le biais des cartables, des cahiers, stylos, bijoux ou chaussures. En Angleterre, où les familles doivent acheter l’uniforme, les élèves issu·es de milieux défavorisés portent souvent celui de leurs aîné·es, ce que la génération des années 90 sait bien :
« Un rouquin, une robe de seconde main, aucun doute c’est un Weasley. »
Au Royaume-Uni, de manière paradoxale, il est même devenu au fil du temps un outil de distinction des élèves aisé·es pour se targuer d’appartenir à une école privée cotée. Ces mêmes écoles sans s’en vanter, sélectionnent d’ailleurs leurs élèves en fixant un coût prohibitif pour leurs uniformes afin de laisser de côté les familles qui ne peuvent se permettre cet achat, et de maintenir un entre-soi officieux mais non-officiel.

On peut aussi rajouter qu’il n’aurait pas d’effet non plus sur le harcèlement : « L’uniforme pouvait empêcher certains élèves d’être vite repérés par des harceleurs potentiels, mais seulement les premiers mois après la rentrée, raconte Darym élève d’une école privée du 17e dans le Huffpost (21/01/23). Ils trouvent toujours un moyen : si ce ne sont pas les vêtements, c’est le physique, les chaussures, la montre, la coupe de cheveux. Si l’uniforme était sale, on obtenait la réputation qui va avec… ».

Au vu de ces exemples, il est clair que l’égalité sociale n’est pas obtenue par l’uniformité. Alors que le gouvernement mène une politique brutalement inégalitaire tant au niveau scolaire et social, il voudrait nous faire croire qu’un simple tissu définit l’égalité.

  Sous les polos la plage, comment s’opposer à cette mesure, quelles alternatives ?

Malgré une très forte communication médiatique sur le sujet, il est important de rappeler que le port de l’uniforme ne peut être imposé dans les établissements scolaires en France, ni par les collectivités, ni par la hiérarchie. Le code de l’éducation n’oblige « qu’à une tenue décente » et ne mentionne pas l’uniforme.
Comme toute mesure qui touche au fonctionnement de l’établissement, celle-ci doit-être validée par un changement de règlement intérieur. Il faut l’aval du C.A. (dans le 2nd degré) ou du Conseil d’école (dans le 1er degré) pour qu’elle s’applique.
C’est donc dans ces instances que nous devrons faire entendre nos voix pour dénoncer une mesure cosmétique qui nous détourne des problèmes réels rencontrés sur le terrain.

Un rapide calcul (200€ x 12 millions d’élèves = 2,4 Md€), démontre que l’introduction de l’uniforme dans les écoles sur le plan national, engagerait des coûts importants pour les collectivités comme pour l’Etat.
Au-delà d’un refus de valeurs passéistes dans lesquelles nous ne nous reconnaissons pas, il nous faut alors rappeler que c’est un choix dans l’utilisation de moyens qui manquent cruellement dans l’éducation depuis de nombreuses années, et qui apparaissent ici comme par enchantement. A titre de comparaion, cette mesure coûterait bien plus cher à l’État que de loger tout·es les élèves à la rue, ou d’assurer la revalorisation de tout·es les AESH. Les priorités du ministre apparaissent clairement.

Derrière ces annonces sur l’uniforme ou la défense de l’autorité des professeur·es, Gabriel Attal continue d’ailleurs à supprimer des postes en poursuivant la casse du service public démarré par ses prédécesseurs. Pour défendre l’autorité des professeur·es ou sortir du “Pas de vague”, les personnels n’ont pas besoin de grands discours ministériels mais de vrais moyens pour améliorer leurs conditions de travail. En ramenant l’uniforme au centre du débat et en multipliant les références au passé, le ministre se dédouane de la dégradation actuelle des conditions de travail des personnels qui incombe pourtant à son propre ministère, et se garde bien d’évoquer les moyens alloués aux établissements scolaires ou le manque criant de personnel.

SUD éducation dénonce cette mesure réactionnaire : pour améliorer le climat scolaire et combattre les inégalités, le service public d’éducation a besoin de moyens. Plutôt que d’uniformiser les tenues des élèves, le ministère de l’Éducation nationale devrait au contraire s’assurer que les droits des élèves sont respectés, que toutes et tous ont un toit, bénéficient de repas chauds au quotidien et ont accès aux soins médicaux nécessaires. L’argent public doit être utilisé pour lutter contre les inégalités sociales et pour la reconversion écologique du bâti scolaire, pas pour caporaliser les élèves.
À nouveau, le ministre fait preuve de populisme dans des réponses toutes faites qui passent à côté des besoins des élèves et des personnels, à commencer par baisser le nombre d’élèves par classe.

Ce sera sans nous.


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