« Les orphelins de 16 heures » : autopsie d’un mensonge

lundi 22 juin 2009
par  SUD Education 92

Depuis la rentrée 2008, les mobilisations dans l’Éducation nationale n’ont pas faibli et attestent de l’ampleur des attaques : réforme du lycée et de l’université, disparition des RASED... Mais qu’en est-il donc du collège, le « maillon faible » ?

Loin d’être épargné par les suppressions de postes, le collège vit une révolution silencieuse difficilement médiatisable tant les attaques se font sournoises. De petits coups de boutoir finiront par avoir raison de l’édifice actuel (certes non exempt de critiques). Le tableau des réformes s’inspire de l’enseignement supérieur. On y trouve la mise en place de la loi Fillon, sur le socle commun, prévue à la rentrée 2009, l’autonomie renforcée des établissements et son corollaire, le renforcement du pouvoir du chef d’établissement, ou encore le pilotage par des conseils pédagogiques sur fond de contractualisation des moyens. Mais le détonateur n’y est pas encore : la réforme des statuts. Gageons que son temps viendra. Des mesures à première vue anodines, voire anecdotiques menacent le collège. Regardons de plus près la mise en place de l’accompagnement éducatif qui illustre assez bien la méthode et l’idéologie du gouvernement.

La « communication » comme moyen de gouvernance

Le dispositif d’accompagnement éducatif (AE) a été mis en place en 2007 dans les collèges d’éducation prioritaire puis étendu à l’ensemble des collèges à la rentrée 2008. Pour contourner l’opposition des personnels (qui n’ont jamais été consultés sur ce sujet ni aucun autre de façon sérieuse), le ministre Darcos prend l’opinion à témoin en faisant pleurer dans les chaumières sur ces enfants livrés à eux-mêmes que l’Éducation nationale prendra désormais en charge : il s’agit de ces fameux « orphelins de seize heures ». La bataille de l’opinion étant gagnée avec l’appui des médias, il suffisait de faire adopter la mesure au Parlement, toujours avec les mêmes arguments en faveur de « l’égalité des chances ». C’est ainsi que la circulaire de rentrée 2007 a précisé la mise en œuvre de l’AE : « il est demandé aux collèges de mettre en place un accompagnement éducatif hors temps scolaire (....). D’une durée indicative de deux heures, cet accompagnement sera organisé tout au long de l’année en fin de journée après la classe, quatre jours par semaine. L’organisation de cet accompagnement éducatif répond à la fois à une forte demande sociale de prise en charge des élèves après les cours [...]. » [1]. Cette mesure a mobilisé 140 millions d’euros en 2008 et a ainsi permis aux fonctionnaires de l’Éducation nationale de « travailler plus pour gagner plus » en consacrant 43 millions à la rémunération d’heures supplémentaires, ce qui est loin d’être une mesure de revalorisation du métier comme l’avait pourtant promis Nicolas Sarkozy dans sa « Lettre aux Éducateurs » [2].

Cette mesure coûteuse a été financée par les économies faites avec les suppressions de postes (notamment les options artistiques confiées à des animateurs au plus grand mépris des élèves les plus défavorisés).

La réalité sur le terrain

L’accompagnement éducatif est difficile à mettre en place en raison de nombreuses contraintes matérielles : c’est notamment le cas pour les établissements ruraux qui accueillent des élèves soumis aux ramassages scolaires. Le ministère en est informé, mais au lieu de renoncer à une mesure inapplicable et qui gaspille l’argent public, il opère un tour de passe-passe afin de ne pas contredire une promesse présidentielle. La circulaire de rentrée 2008 décline la mise en œuvre comme suit : « d’une durée indicative de deux heures, il est organisé quatre jours par semaine tout au long de l’année, de préférence en fin de journée après la classe » [3]. Il a suffi de rajouter deux mots de préférence pour que « tout devienne possible ».

De fait, l’AE se déroule en cours de journée, par exemple sur des heures d’étude, surtout entre midi et deux. Les « orphelins de seize heures » le resteront, et n’auront servi qu’un temps au Ministre pour qu’il « communique ».

Pourtant, lors de l’examen du budget 2009, ce dernier persiste : « l’accompagnement éducatif après la classe fonctionne parfaitement et est à présent déployé dans tous les collèges et dans les écoles de l’éducation prioritaire. Ce dispositif innovant qui permet aux élèves de rester dans les établissements en fin de journée concerne à présent 7000 collèges et 5000 écoles.... » [4]. De deux choses l’une, soit le Ministre ignore ce qui se passe dans son ministère, soit il ment. Quoiqu’il en soit, la « com » fonctionne, tout se passe comme s’il suffisait qu’une idée soit martelée pour qu’elle soit vraie.

Le Coût et la finalité du dispositif

Les représentants de la Nation ont donc adopté, sur la base du dogme, le projet de loi des finances 2009 : 323 millions d’euros sont consacrés à l’AE. 115 millions d’euros (soit un cinquième des 503 millions économisés par les suppressions de postes) sont redistribués aux personnels enseignants sous la forme d’heures sup. Une part non négligeable, 54 millions d’euros, est attribuée aux collectivités et aux associations : leurs personnels peuvent en effet intervenir dans le cadre du dispositif.

C’est ainsi que l’on externalise peu à peu les missions de service public, remplaçant l’enseignement par de l’animation, que l’on réduit l’engagement de l’État, transféré aux collectivités et que l’on parvient à faire des économies substantielles.

Le dogme de la réduction des dépenses publiques et la mise en concurrence tout azimut

Si un enseignant perçoit 36,88 € pour une heure d’accompagnement éducatif (taux de l’heure supplémentaire), les autres « personnes » (dixit le décret) ne perçoivent que 15,99€ [5] Le chef d’établissement qui a toute autorité à mettre en place des dispositifs d’AE dans son établissement aura donc tout intérêt à recourir aux « personnes » extérieures pour doubler son « offre », d’autant qu’il sera fortement sollicité par les acteurs d’un monde associatif en mal de subventions. Les UNSS ainsi talonnées par les associations se voient contraintes de se soumettre au dispositif, sous peine de disparaître. Nous touchons donc, ici à l’un des aspects de la réforme commun à tous les services publics : la mise en concurrence des établissements. Mais il s’agit aussi de la mise en concurrence des salariés : comment justifier l’écart de rémunération allant du simple au double pour un même service rendu ? Les fonctionnaires qui s’engouffrent dans la brèche doivent mesurer l’effet boomerang de cette offre alléchante : outre qu’une telle injustice est indéfendable, elle permettra la stigmatisation du fonctionnaire nanti et privilégié dont le statut ne sera plus défendable à terme. Enfin c’est aussi une mise en concurrence des enseignants. Les enseignants ont toujours animé bénévolement des clubs (ciné, journal, lecture, photo, danse, théâtre, jeux, etc.) dans les collèges au moment de la pose méridienne. L’introduction du dispositif AE crée une tension entre ceux-là et ceux qui ont accepté d’être payés pour faire quelque chose de similaire. Une logique mercantile remplace les valeurs de l’engagement et nombre de clubs animés bénévolement deviennent des dispositifs rétribués. Pour les enseignants acceptant au moins 3 heures supplémentaires par semaine, une prime de 500 euros est offerte : c’est dire combien le gouvernement met le prix fort quand il s’agit de corrompre l’esprit du service public.

Lorsque Xavier Darcos parle de « dispositifs innovants », l’innovation se résume au final à l’introduction de critères marchands.

C’est ainsi que le libéralisme et ses dogmes s’imposent dans nos collèges.

Cette politique neutralise de surcroît les revendications salariales collectives, elle individualise les salaires et sape l’engagement syndical.

Tout ceci ne peut mieux illustrer les propos de Philippe Meirieu dans sa lettre ouverte à Xavier Darcos : « cette politique est dangereuse [...] parce qu’elle ne calcule jamais les coûts sociaux [...] de ses choix : [...] coût des conflits et des gaspillages provoqués par la concurrence attisée entre l’Etat et les collectivités territoriales, [...], entre les établissements et, peut-être bientôt, entre les enseignants eux-mêmes courant après les petits avantages que vous accordez aux uns et que vous refusez aux autres... C’est, d’ailleurs là, la véritable illusion du libéralisme [...]. On a vu ce que cela donnait dans le domaine économique et nous n’avons pas fini d’en payer le prix ! » [6] On ne peut mieux dire.

En résumé, l’accompagnement éducatif n’est pas qu’anecdotique, il témoigne de la philosophie des réformes en cours, des dogmes et mensonges gouvernementaux. Il a coûté pour l’heure à la collectivité la bagatelle de plus de 300 millions d’euros financés par des suppressions de postes. Les enseignants et encore moins les élèves ne sont pas les bénéficiaires d’une mesure au fond seulement destinée à servir la « com » d’un Président sans cesse en « campagne » : « Je veux vous dire [...] que je suis décidé à faire en sorte que plus aucun enfant ne soit livré à lui-même une fois la classe terminée afin que vous puissiez achever votre journée de travail sans éprouver l’angoisse de savoir votre fils ou votre fille sans surveillance, sans encadrement » [7].

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[1] Circulaire no 2007-115 du 13 juillet 2007 – MENE0701447C

[2] Nicolas Sarkozy, Lettre aux Éducateurs, 4 septembre 2007 : « Je souhaite faire de la revalorisation du métier d’enseignant l’une des priorités de mon quinquennat [...]. Et, je m’y engage, les moyens qui seront ainsi dégagés seront réinvestis dans l’éducation et dans la revalorisation des carrières. »

[3] Circulaire no 2008-042 du 4 avril 2008 - MENE0800308C

[4] Intervention de Xavier Darcos à l’Assemblée nationale, séance du 4 novembre

[5] Arrêté du 21-1-2009 - J.O. du 23-1-2009

[6] Philippe Meirieu, [I]Lettre ouverte à Xavier Darcos [FIN I]– 27 décembre 2008 – http://www.meirieu.com

[7] Nicolas Sarkozy, Lettre aux Éducateurs, op.cit.


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