Ne livrons pas les élèves au Livret

dimanche 2 janvier 2011
par  SUD Education 92

Depuis la rentrée 2010 les enseignants de collège sont sommés de faire une tâche supplémentaire : valider le Livret de compétences (LPC) pour les élèves de troisième. Pas moins de 98 items, parfois disciplinaires, parfois transversaux, dont la liste évoque un inventaire à la Prévert, depuis « Savoir nager » jusqu’à « Etre sensible aux enjeux esthétiques et humains d’un texte littéraire ».

Validation impossible

Les questions sont nombreuses :
Peut-on considérer que « Mobiliser à bon escient ses capacités motrices dans le cadre d’une pratique adaptée à son potentiel » ou « Assumer des rôles, prendre des initiatives et des décisions » est une qualité acquise une fois pour toutes indépendamment des circonstances ? Quel niveau de connaissances, de compréhension, d’analyse sont exigibles quand il s’agit d’ « Identifier la diversité des civilisations, des sociétés, des religions » ?
Comment détecter la « sensibilité « de l’élève ou sa « curiosité, sa créativité, sa motivation, (à travers des activités conduites ou reconnues par l’établissement) » ?
A quel degré d’intimité doit -on en venir pour savoir s’il « adopte des comportements favorables à sa santé et à sa sécurité »  ?
Deux évaluateurs pourront-ils se regarder sans rire ? L’honnêteté la plus élémentaire oblige à reconnaître qu’en ce qui concerne bon nombre d’items, nous ne sommes pas en mesure de faire ce qu’on nous demande de faire.

Alors, que diable irions-nous faire dans cette galère ?

Le livret de compétences est la voie choisie par le ministère pour faire entrer dans le système éducatif français le « Socle commun de connaissances et de compétences », adopté dans la « Loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’Ecole » de 2005. Cette loi est la déclinaison à l’échelle nationale du programme éducatif de l’OCDE via une recommandation de l’UE . A ces trois échelles, les compétences désignées comme des « compétences-clés » sont conçues avec dans le même sens spécifique : « une combinaison de connaissances, d’aptitudes et d’attitudes appropriées à une situation donnée. »
Savoirs, savoir-faire et savoir-être, c’est le cocktail que les entreprises, soumises depuis les années 80 aux aléas d’une gestion en flux tendus, attendent de leurs « ressources humaines » : non plus une qualification précise (appuyée sur un diplôme), mais la capacité de passer d’une tâche à l’autre (tout en s’y engageant totalement !), sous la menace permanente de se faire virer.
Aussi, pour rester employable, le travailleur - pardon, le collaborateur- aura à cœur de « se former tout au long de sa vie », et l’on comprend mieux pourquoi , dès la troisième, l’élève doit « Savoir s’autoévaluer, et être capable de décrire ses intérêts, ses compétences et ses acquis ou encore d’ « Identifier ses points forts et ses points faibles dans des situations variées. »

Le charme discret du numérique

La loi du 24 novembre 2009 relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie réserve un article à l’expérimentation du Livret de compétences (art.11) : celui-ci ne se limitera pas à enregistrer les compétences scolaires des élèves , il leur permettra également de « valoriser leurs capacités, leurs aptitudes et leurs acquis dans le champ de l’éducation formelle et informelle, ainsi que leurs engagements dans des activités associatives, sportives et culturelles. » Ainsi, « Lorsque l’élève entre dans la vie active, il peut, s’il le souhaite, intégrer les éléments du livret de compétences au passeport orientation et formation prévu à l’article L. 6315-2 du code du travail. »

On ne saurait mieux dire que le Livret, devenu subrepticement une application numérique depuis janvier 2010, n’est pas un outil pédagogique, qu’il vise plutôt à cerner l’employabilité du futur travailleur, avec des données personnelles exportables sur n’importe quel fichier de n’importe quel service.

Une pierre de plus à l’édifice de contrôle des populations sans lequel les experts ne sauraient piloter la société, en toute démocratie bien sûr.


Freinet, au secours !

Que nous pratiquions parfois dans nos cours une approche ou une évaluation par compétences lorsque nous estimons cela utile à notre enseignement, pourquoi pas ?

Mais il y a une grande différence entre cette démarche et la démarche impliquée par l’usage du Livret.

Il est évident que chaque item ne sera pas considéré longtemps comme une qualité caractérisant ou non l’élève, mais deviendra rapidement une caractéristique qu’il serait anormal de ne pas posséder. Ne pas « Manifester curiosité, créativité, motivation, à travers des activités conduites ou reconnues par l’établissement »,… deviendra un handicap à surmonter . Autrement dit, une sacrée normalisation se profile, encore plus détaillée et contraignante que celle imposée par les pratiques scolaires traditionnelles. A travers la validation de ces 98 items, nous voici contraints de repérer ce qui cloche pour y remédier comme si l’élève était une voiture à réparer et non une personne en devenir. En somme, sous la langue fleurie de l’autonomie pour tous, on nous impose une démarche plus proche du dressage que de la pédagogie.

L’autonomie, la vraie !

La validation du livret de compétences nous place devant une tâche qu’il est impossible d’effectuer honnêtement. Elle fait de nous les petites mains d’un fichage des élèves. Elle ne nous permet pas - au contraire- de faire notre métier mieux qu’avant.

NON AU LIVRET DE COMPETENCES


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