Du prétexte de la crise et de la dette pour justifier des politiques européennes de destruction de l’École publique mises en œuvre depuis 15 ans

lundi 9 janvier 2012
par  SUD Education 92

La crise semble plus que jamais justifier, aux yeux des ministres de l’éducation européens, des coupes sombres dans les budgets de ce secteur : suppressions de postes, gel ou baisse des salaires, diminution globale des moyens. En Roumanie, les enseignants sont menacés de licenciement s’ils n’acceptent pas des réductions de salaires. La Lituanie, la République Tchèque, la Hongrie et la Lettonie ont réduit de 30% les salaires des enseignants. Sur 35000 enseignants, 6000 ont été licenciés en 2010 en Lettonie. Plusieurs universités irlandaises ont ou sont sur le point de fermer leurs portes après une réduction budgétaire de 60% en 2010-2011 et une importante diminution des effectifs d’enseignants est en cours. En Italie, une réforme a acté la suppression de 87500 postes d’enseignants pour économiser 8 milliards d’euros. Aux Pays-Bas, les bourses pour étudiants vont être transformées en prêts bancaires spécifiques…

Mais en réalité, la crise tombe très bien et semble enfin donner une justification acceptable à un processus européen de destruction de l’École publique en cours depuis déjà près de 15 ans. En voici les objectifs et les étapes :

Il s’agit tout d’abord d’une privatisation progressive des systèmes éducatifs. Celle-ci se manifeste par la présence des représentants de firmes privées dans le conseil d’administration de certains établissements, voire l’introduction de capitaux privés dans les budgets des établissements scolaires. Simultanément on assiste à la croissance de l’enseignement privé - sous contrat ou non - notamment en France. Ce deuxième phénomène est favorisé par la dégradation des conditions d’enseignement dans le public, du fait de la baisse constante des moyens qui lui sont alloués. La participation de capitaux privés au financement des écoles anglaises, décidée par Tony Blair, au mois de février 2006, est à l’ordre du jour dans d’autres pays d’Europe.

On assiste aussi à une ouverture du « marché de l’éducation » aux intérêts privés : fournitures, matériel « pédagogique », informatique et technologies, sponsoring représentent en effet un marché considérable.

Enfin, c’est dans la définition même des contenus des programmes scolaires et des missions de l’École que l’on assiste à une libéralisation croissante : il s’agit d’adapter l’école aux besoins du marché, de faire une école de l’efficacité économique et du respect des institutions libérales conçues comme seules alternatives possibles dans le monde contemporain. Flexibilité, mobilité, rentabilité, concurrence, voilà les principes qui motivent les différentes attaques que subissent à présent nos systèmes éducatifs. « L’approche par compétences » est le cheval de Troie de cette politique, puisqu’elle consacre partout en Europe le modèle managérial comme le seul qui vaut dans l’évaluation des élèves, futurs travailleurs flexibles.

Derrière les recommandations de la Commission européenne et les rapports de l’OCDE, il y a un puissant travail de lobbying des firmes privées qui ont tout intérêt à la mise en pièces de l’École Publique, en tête l’ERT et l’UNICE, le Medef européen.

Pour mieux comprendre ce processus, il faut se tourner du côté des rapports des dits « experts » de l’OCDE et des membres du lobby patronal qu’est l’ERT, ainsi que du côté de différentes institutions de l’Union Européenne. Pour résumer, leur politique repose sur cinq dogmes libéraux, dont le principal est le prétendu manque de compétitivité de l’Europe et la responsabilité des systèmes éducatifs en la matière :

les systèmes d’éducation et de formation ignoreraient les exigences de compétitivité ;

les systèmes éducatifs seraient trop rigides ;

les systèmes d’éducation et de formation actuels se fondant exclusivement sur des accréditations formelles, seraient trop éloignés des exigences du marché du travail ;

ces mêmes systèmes développeraient une structure élitiste qui les mettrait à l’écart des besoins économiques réels ;

ces systèmes, enfin, rendraient les individus moins imaginatifs et moins entreprenants, car moins responsables.


Les grandes étapes du processus

1989

Publication du rapport de l’ERT, « Éducation et compétences en Europe », qui affirme que « l’offre de l’éducation ne correspond pas à la demande », c’est-à-dire à la demande des industriels. Il y aurait ainsi une inadaptation de la formation au marché en perpétuel mouvement.

1995

La Direction générale de l’éducation de la Communauté européenne (DGXXII), dont la directrice est alors Édith Cresson, publie un « Livre blanc sur l’éducation et la formation : enseigner et apprendre, vers la société cognitive ». Il prône « l’autonomie » des écoles et « le rapprochement école-entreprise ». Ce thème deviendra un des leitmotivs des réformes à venir.

1998

Les experts de l’OCDE publient le rapport « Analyses des politiques d’éducation », dont le thème est le désormais célèbre « apprentissage tout au long de la vie » : il faut « apprendre à apprendre », entendez apprendre à être flexible, mobile et à s’adapter tout au long de sa vie aux besoins du marché. Il y est écrit que les écoles doivent devenir « des institutions plus ouvertes au service d’intérêts très divers et d’une large clientèle ». Le ministre de l’éducation Claude Allègre trouvera une source d’inspiration dans ces textes.

1999-2000

Déclaration de Bologne signée par 31 ministres européens de l’enseignement selon laquelle l’Europe doit se doter d’une économie plus compétitive, notamment dans le domaine des services et des technologies. Application de cette décision à l’éducation lors du Sommet européen de Lisbonne avec le projet e-learning. Il s’agit de développer dans l’UE « l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde » et d’entamer pour cela une série de réformes en profondeur, censées secouer les archaïsmes de systèmes éducatifs qui ne sont pas adaptés au marché et coûtent trop cher à la Communauté européenne. Les grandes lignes en sont l’entrée de l’École dans l’ère du numérique, une plus grande mobilité au niveau de l’Union (harmonisation des diplômes, mobilité des étudiants et des enseignants) afin d’accroître la concurrence entre régions et établissements. Il s’agit donc de rendre l’enseignement supérieur « plus compétitif » mais surtout plus rentable. Il est prévu un désengagement massif des fonds publics dans l’éducation et l’introduction progressive de capitaux privés.

2003

Loi sur la décentralisation et la réforme des retraites. Conformément aux volontés des lobbies patronaux européens de désengagement de l’État des services publics, son but est, d’une part, d’alléger l’État du financement de certains personnels de l’Éducation nationale et, d’autre part, de réduire l’embauche de personnels enseignants titulaires en retardant leur départ à la retraite.

2004-2005

La réforme « LMD » du supérieur, inspirée dans son contenu du rapport Attali, permet la mise en concurrence des établissements. Elle instaure les « crédits professionnels » qui vont remplacer progressivement les contenus d’enseignements généraux moins directement « utilisables » sur le marché du travail.

2005-2006

Les projets de Constitution européenne et de Directive Bolkestein de libéralisation des services veulent poursuivre ce travail systématique de marchandisation de l’École.

Le projet de Traité met l’accent sur la nécessité de développer l’enseignement à distance visant ainsi à concurrencer les écoles publiques et à développer le marché des technologies numériques en leur sein. Si, selon ce texte, l’État est censé conserver ses prérogatives fondamentales en la matière, la troisième partie du projet laisse planer un flou juridique, au nom du principe de libre concurrence des services entre les États, qui laisse redouter tous les contournements possibles du principe de la prérogative nationale. La directive Bolkestein affirme d’un côté laisser indemne l’éducation… mais de l’autre énonce toute une série d’exceptions, elles aussi assez vagues (à commencer par la définition de ce qu’est un service) pour que les firmes de l’education business puissent s’y engouffrer à loisir. Les multiples rencontres « École-Entreprise » dans les pays de l’UE continuent à préparer le terrain et à se répartir les secteurs.

2007

La loi LRU consacre la réforme LMD et le démantèlement des universités européennes en général, en s’attaquant d’abord à leur financement. C’est l’université qui paye en premier le lourd tribut de toutes ces politiques et qui est placée au cœur d’un système où la concurrence est la seule loi.

Entre 2008 et 2009

C’est l’approche par compétences qui est préconisée par tous les rapports européens comme désormais la norme à mettre en place. C’est l’outil qui servira à l’application de la « formation tout au long de la vie ». Ainsi, le « cadre stratégique pour la coopération européenne » ( »Éducation et Formation 2020 »), adopté en mars 2009, vise pour 2020 l’objectif suivant notamment : « Une moyenne d’environ 15% des adultes (de 25 à 64 ans) devraient participer à l’éducation et la formation tout au long de la vie » [DG Éducation et Formation de la Commission Européenne]. Voilà ce que préconise encore le même rapport : «  Pour un meilleur fonctionnement des marchés de travail européens et pour offrir le bon dosage de compétences, la Commission propose des mesures concrètes qui contribueront aux objectifs suivants :

  • accélérer la réforme des marchés du travail dans l’optique d’accroître leur flexibilité et leur sécurité (flexicurité) ;
  • proposer aux personnes et aux entreprises des solutions opportunes pour les inciter à investir dans la formation afin d’améliorer en permanence les compétences et de les adapter aux besoins du marché du travail. »

À chaque étape, des « études » de l’OCDE justifient systématiquement ces « recommandations », à l’aide de statistiques démontrant toujours que la réussite scolaire n’est pas du tout une question de moyens !

On voit bien dès lors la cohérence d’un processus auquel la crise donne aujourd’hui un semblant de légitimité. La seule question à poser aux gouvernants est alors la suivante : pour détruire en toute impunité l’éducation publique dans tous les pays européens et la livrer aux marchés, la crise n’est-elle pas ce que vous pouviez imaginer de mieux ?

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