Enseignants, pas auxiliaires de police !

mercredi 16 janvier 2008
par  SUD Education 92

Contrairement aux idées reçues, la bonne volonté punitive n’a jusqu’à présent fait défaut à aucun gouvernement. Ainsi, le 4 octobre 2007, un protocole Education/Intérieur a instauré les correspondants policiers des chefs d’établissement. Le BO n° 31 du 31 août 2006 avait, quant à lui, déjà autorisé les permanences policières dans l’enceinte des établissements, tandis qu’une circulaire interministérielle du 2 octobre 1998 invitait déjà les chefs d’établissements à signaler à la police ou au Parquet les infractions suivantes : intrusion, détérioration de biens appartenant à des personnels, vol ou tentative de vol par un élève, menace d’atteinte aux biens, insulte ou menace d’un élève envers un personnel de l’établissement, bizutage, port d’arme ou transport d’objets dangereux, racket, violences sexuelles et trafic de stupéfiants dans ou aux abords de l’établissement.

Mais pour l’actuel gouvernement, cette liste n’est ni assez longue ni assez contraignante pour les chefs d’établissements. Une nouvelle circulaire conjointe des ministères de l’Education nationale, de l’Intérieur et de la Justice a donc été annoncée le 16 janvier 2008. Cette fois, les chefs d’établissements du second degré seront obligés d’informer le Parquet à chaque commission d’infraction. Toute une série d’atteintes pourront déclencher le signalement, “même le fait de faire du tapage avec une chaise” précise-t-on au rectorat de Paris, où ce dispositif est déjà en place depuis l’année dernière. Au point que certains voudraient le voir débuter “dès le premier degré”. Une ambition que Mme Dati semble reprendre à son compte, conformément au principe “une infraction, une réponse pénale [1] ” qui devrait, selon elle, orienter le traitement des mineurs en milieu scolaire.

Collaboration ou instrumentalisation ?

L’objectif est évidemment inatteignable tant les tribunaux sont déjà engorgés. Dans le cas de l’expérimentation parisienne, pas moins de 1233 signalements ont ainsi été effectués entre février et novembre 2007 : une moyenne de 176 par mois si l’on ne tient pas compte des vacances scolaires. Il semble qu’aucun d’entre eux n’ait eu de suite judiciaire, et pour cause ! Par contre, 125 signalements ont été conservés dans un fichier partagé par le Rectorat, le Parquet et la Préfecture de police de Paris. La collecte de renseignements policiers, plus que le traitement efficace des infractions en milieu scolaire, serait-elle la finalité inavouée de la collaboration de l’institution scolaire avec les organes de répression ? Les nouvelles doctrines de sécurité publique, fondées sur le croisement des fichiers individuels et la détection précoce des délinquants potentiels, font de l’école une ressource de premier ordre. De là à transformer les établissements en centres de renseignements sur les jeunes et leurs familles, il n’y a que quelques pas… franchis de plus en plus vite par les mesures innovantes et autres projets à l’étude : fichage informatique des performances, des comportements et des données personnelles dans Base élèves ou Sconet ; “secret partagé” obligeant les personnels, notamment les assistants sociaux, à communiquer leurs informations à l’administration et aux élus locaux ; préconisations du rapport Bénisti sur le signalement des enfants “déviants” dès l’âge de trois ans, etc. La collaboration entre l’Education nationale, la justice et la police peut difficilement être dissociée de la mise en place de ce nouveau type de contrôle social. Outre les problèmes brûlants que cela pose en termes de libertés publiques, cette croyance naïve dans la capacité des technologies sécuritaires à se substituer aux exigences pédagogiques nous promet des lendemains qui déchanteront longtemps.

Le renvoi systématique des élèves à la loi, sans que le système judiciaire ait les moyens de s’en charger, aura des effets catastrophiques sur la socialisation de nos élèves. Au sentiment d’impunité relative s’ajoutera la perte de légitimité de nos réponses pédagogiques, y compris face aux actes ne relevant pas du code pénal. D’autant plus qu’aucun travail éducatif crédible autour des normes ne pourra plus être mené si nous transférons aux procureurs le soin de régler nos problèmes disciplinaires : balancer ou éduquer, il nous faudra donc choisir. Les collègues soucieux de ne pas entrer dans cette impasse, ou simplement désireux d’éviter à leurs élèves des poursuites judiciaires, seront certainement tentés de taire à l’administration les infractions dont ils pourraient être témoins, sinon victimes. Paradoxalement, cette dissimulation servira la démagogie sécuritaire du gouvernement, qui pourra se prévaloir d’une baisse de la violence scolaire recensée, en dépit des dégâts produits dans nos classes.

L’autorité professorale de plus en plus minée par le tout-judiciaire

Pour les professionnels de l’éducation, la pénalisation des déviances scolaires est donc inadmissible. Et ce, même si le gouvernement pouvait donner à la Justice les moyens de traiter sérieusement l’ensemble des infractions commises. Car - faut-il le rappeler ? - avant d’être responsables de leurs actes, les enfants et les adolescents doivent construire leur rapport aux autres et à la loi. C’est pourquoi leur protection pendant cette période de formation est indispensable. Elle fonde le statut de mineur légal. Il est donc inacceptable de prétendre que l’école est un lieu comme les autres, où les règles de droits applicables partout ailleurs doivent aussi prévaloir. Cette négation de la spécificité du temps scolaire se justifie, au plus haut niveau, par la perte de confiance dans la capacité du système éducatif à socialiser efficacement la jeunesse. Ce pessimisme pédagogique, dont le président de la République s’est fait le porte-parole [2], ne laisse guère d’autre choix que de s’en remettre aux prêtres et aux juges pour transmettre des valeurs et réprimer leur transgression.

Ainsi, en externalisant la discipline scolaire vers la justice et la police, c’est toute l’autorité morale des professeurs qui s’effondre. Comme le rappelle Jean de Maillard, vice-président du Tribunal de grande instance d’Orléans, “une institution doit pouvoir faire elle-même sa propre police, avec ses propres règles de fonctionnement. Or on constate une contractualisation des rapports sociaux dans laquelle l’adulte, l’éducateur, l’enseignant ne sont plus en position d’autorité. Ils dispensent seulement des services dans le cadre d’une relation de consommation, au lieu d’incarner une figure sociale. Symboliquement, c’est dramatique pour notre société : on demande au policier et au juge de s’intercaler entre consommateur et producteur de la relation éducative. C’est l’échec d’une société à transmettre les règles de socialisation. Aujourd’hui, la seule réponse qui reste est de pénaliser tous les comportements déviants que provoque l’effondrement des institutions.” Si même les juges s’y mettent, c’est qu’il est vraiment temps de changer de méthode !


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