Vie scolaire - La petite boutique des horreurs

vendredi 20 novembre 2009
par  SUD Education 92

« Seymour Krelborn travaille chez un petit fleuriste de quartier. Son patron, désespérant de l’absence de clients dans le magasin, annonce qu’il va devoir mettre la clef sous la porte. Seymour propose alors de mettre en vitrine une plante inconnue qu’il avait trouvée le jour d’une éclipse. Intrigués par l’aspect étrange de la plante, les clients affluent. La plante se révèle cependant carnivore, et il s’avère que c’est une variété extra-terrestre se nourrissant uniquement de chair humaine… »

La Petite Boutique des horreurs (Little Shop of Horrors) est un film américain réalisé en 1960 par Roger Corman, remake réalisé par Frank Oz sorti en 1986.

Temps couvert pour l’éducation ! Cet automne, ce sont les mauvais coups qui pleuvent…

Sous la forme d’« expérimentations » dans l’académie de Créteil tout d’abord. En premier lieu, par la mise en place de la « cagnotte collective » pour récompenser l’assiduité des élèves dans trois lycées professionnels pilotes. Ce projet, plus ou moins inspiré de dispositifs anglo-saxons (et financée pour une part par des fonds privés…) inaugure la « Politique globale de la jeunesse » (voila qui promet !). Signe des temps, au même moment à Marseille, un proviseur zélé de LP offre, dans le même objectif, des places pour les matches de l’OM aux élèves les plus assidus…

Toujours à Créteil, et dans la lignée des calamiteux « médiateurs de la réussite scolaire », voici venir les « agents d’équipes mobiles de sécurité », plus clairement des néo-vigiles, et les « responsables des études », précaires aux contours encore flous mais qui remplaceraient avantageusement (d’un point de vue comptable s’entend…) les CPE et les CO-Psy.

Pendant ce temps, L’UMP pétitionne « pour une meilleure application » du volet de la loi (très répressive et très inefficace…) du 31 mars 2006 sur la « Responsabilité parentale », permettant d’enlever tout ou partie des allocations familiales aux parents des absentéistes. À l’assemblée, Jean-François Chossy, député godillot de la même formation, questionne Luc Châtel à la demande de l’officine d’extrême-droite SOS Éducation. Parmi les « huit mesures très radicales présentées visant notamment à faire respecter l’autorité des professeurs », figure la proposition de réintroduire « la fonction pleine et entière de « surveillant général » (conseiller principal d’éducation) dans les écoles »…

Nouveaux coups de com’, nouvelles baudruches électoralistes qui se dégonfleront d’elles-mêmes comme la très médiatique fouille des cartables ? Rien n’est moins sûr. Dans le contexte de la destruction des postes, de la promotion effrénée de l’idéologie sécuritaire et managériale dont on voit les ravages dans le monde du travail, tout ceci n’a rien d’anodin. Il faut accoutumer l’opinion et les personnels à des bouleversements fondamentaux qui, pour ce qui concerne la Vie scolaire, menacent l’existence même de nos métiers. Il faut en analyser les composantes et les cohérences pour mieux organiser la résistance.

Et s’il s’agit de construire un rapport de force, nous ne manquons pas de points d’appui. L’affaire de la cagnotte a ainsi soulevé un très vaste tollé au nom notamment des « valeurs de l’École républicaine ». Philippe Mérieu résume le sentiment général quand il se déclare « viscéralement horrifié par cette initiative ». Syndicats, associations de parents, organisations lycéennes, spécialistes de l’éducation… Le rejet est large et unanime, jusque parmi les élèves concernés… Et c’est la débandade dans les rangs de la majorité… Sarkozy, favorable le 7 octobre, quitte le navire le 16, en évoquant sa « très grande réticence » non sans nous servir son brouet ranci sur le travail et le mérite ; Châtel bredouille que les choses ont été mal présentées et parle d’« expérimentations multiples » ( on aimerait les connaître) ; Pécresse se dit « très réservée »…Hirsch doit se sentir bien seul quand il persiste et signe évoquant « un choc culturel » nécessaire en raison d’une « forte efficacité » attendue. Le pauvre Martin a décidément perdu la boussole en promouvant dans l’École un dispositif qui semble tenir de la télé-réalité et des plate-formes de France-Telecom.

Les chercheurs et les professionnels accumulent les arguments pour dévoiler l’inefficacité programmée, les effets collatéraux probables et les visées politiques profondes de la « cagnotte ».

Son inefficacité en premier lieu. Qui peut raisonnablement penser que de telles mesures puissent avoir un effet véritable sur un phénomène aussi complexe que l’absentéisme qui combine, on le sait (mais sans doute pas au gouvernement…), des dimensions sociales, familiales, psychologiques et institutionnelles. S’y attaquer exigerait des politiques bien plus ambitieuses et bien plus éclairées, inspirées notamment par la prévention.

Absentéisme dont il faut aussi relativiser l’ampleur contrairement aux contre-vérités véhiculés par les médias. Une note toute récente de la très officielle « Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) » du Ministère de l’Éducation nationale en dresse un tableau bien plus nuancé, très éloigné de la description apocalyptique qu’on nous sert, et enfin marqué par une grande diversité des situations. Les problèmes majeurs se concentrent dans un certain nombre de lycées professionnels. On ne s’en étonnera pas au vu de la dévalorisation continue de cette voie, de son recrutement social, des nouvelles difficultés générées par la réforme du baccalauréat professionnel en trois ans, des graves problèmes d’affectation, de l’éloignement courant du domicile… La note de la DEPP rappelle aussi fort utilement que les élèves perdent aussi du temps d’enseignement, et de manière significative, en raison du non-remplacement d’enseignants absents…ce qui est tout à fait d’actualité en ces temps de suppression massive de postes.

La cagnotte serait donc presque risible si elle ne touchaient les fondements de l’échange éducatif et du rapport au savoir. Philippe Meirieu donne encore la mesure de ce qu’il faut bien nommer une transgression : « cet échange doit donner à la personne le goût d’aller au-delà, de se projeter dans l’avenir. Ce qui fait grandir l’élève, c’est la gratification symbolique, pas matérielle. C’est la fierté d’avoir réussi, d’avoir relevé un défi, franchi une étape. Le registre matériel clôt l’échange alors que le symbolique l’ouvre. » D’autres voix dénoncent la grave confusion qu’on opère entre motivation et récompense, la primauté du groupe de jeunes dans un processus périlleux d’auto-contrôle qui vient exproprier l’adulte d’une part de son autorité, de très pernicieux phénomènes de groupes, le renforcement des valeurs de rivalité acharnée et de l’argent roi déjà très présentes dans la jeunesse…

Mais probablement, pour les traders qui nous gouvernent, tout s’achète, tout se vend ! La Note Vie scolaire nous l’avait appris…l’éthique de la formation et la formation à l’éthique sont le cadet de leurs soucis.

Outre cette tragique déliquescence, le gouvernement a des motivations plus secrètes. Qu’importe au fond le fiasco si prévisible de ces mesures, il y a d’autres enjeux gestionnaires et idéologiques. La démarche de projets et de contractualisation constitue un pilier du dogme libéral importée du monde harmonieux, comme chacun peut le constater, de l’entreprise privée. Le « projet » coûte prosaïquement moins cher que des mesures générales, incite les personnels qui s’y engagent à « travailler plus pour gagner plus ». Air connu dont connaît le but ultime : que moins travaillent plus avec moins de moyens et pour gagner moins…

Derrière la vitrine se cachent les livres de compte qui commandent de renoncer à tous les acquis de la recherche et des pratiques professionnelles. Ou autrement dit de signifier clairement la fin de l’éducation pour tous (car gageons que les enfants de nos dirigeants et des classes dominantes se tireront toujours d’affaire). Enfoncez-vous bien ça dans la tête ! L’éducation des classes populaires ce sera comme le travail : la cagnotte (on appellera ça le management) et le bâton (au sens strict désormais dans l’académie de Créteil avec les équipes mobiles de sécurité). Les pauvres, ça se dresse ou ça s’appâte…nauséabond !

Pour qu’une telle politique puisse se déployer avec le moins d’aléas possible, il faut mettre en place un certain nombre de conditions. La dégradation des conditions de travail et la fragilisation des personnels y contribuent grandement. En cela, que trouver de plus emblématique que le choix du LP industriel Alfred Costes à Bobigny pour « expérimenter » la cagnotte. L’établissement a connu de nombreuses suppressions de postes et près de 50% du personnel travaille sous un statut précaire…Le champ est si bien dégagé que l’administration s’est dispensée d’informer officiellement les personnels jusqu’aux premiers reportages diffusés par les médias.

Une même logique préside aux offensives lancées contre les métiers et les qualifications. Dans l’Éducation nationale, l’ensemble des professions est touché. Mais les fonctions éducatives, sociales, médicales et d’orientation sont les parmi plus fragilisées. Elle tendent à disparaître des établissements. Pour ce qui concerne les CPE, les chiffres parlent d’eux-mêmes : le Ministère annoncent environ 500 sorties du corps des CPE chaque année et les arrêtés ministériels n’ont ouvert, lors des dernières sessions, que 200 possibilités de recrutement.

Les conseillers principaux d’éducation présentés pourtant dans un rapport de la Défenseure des enfants comme « la véritable cheville ouvrière entre le chef d’établissement, les élèves, les enseignants » et, en tant que « personnels les mieux formés en psychologie de l’enfant et de l’adolescent », les mieux à-même de mettre en jeu « une bonne vision de l’assiduité des élèves et des risques de décrochage scolaire présentés par certains ». Alors qu’on annonce la très symbolique et scandaleuse suppression de cette institution, on s’interroge…les CPE suivront-ils la Défenseure aux oubliettes ?

Outre la destruction des postes, en effet, le gouvernement tente de leur substituer des précaires évoqués en introduction. Après les « médiateurs de la réussite scolaire », empiétant également sur les missions des assistantes sociales scolaires, voici donc les « responsables des études », dans cinq collèges Ambition-réussite de Seine-St Denis, du Val-de-Marne et de Seine-et-Marne. Objectif : leur confier un rôle d’« adulte référent », notamment dans le domaine de l’orientation. Au moment même où les CIO connaissent des difficultés majeures : baisse des budgets de fonctionnement, regroupement et/ou fermeture, suppressions de postes de COP (remplacement d’un départ à la retraite sur six, disparition de 700 postes en 5 ans…) et d’administratifs…Mais les « responsables des études » ont explicitement des missions de Vie scolaire puisqu’on les charge du « suivi individuel des élèves », situé au cœur même de notre métier…Avec les « agents d’équipes mobiles de sécurité », on sort, pourrait-on penser, du domaine de la substitution, pour celui du sécuritaire pur jus. Mais…à y regarder de plus près…Certes on s’adresse, par exemple, à de « jeunes retraités des métiers de la sécurité », capables de mener des « mesures de contrôle en direction d’élèves au comportement à risque », exigeant « une bonne pratique sportive » (plutôt le full-contact que le golf selon nous…), une « présence physique imposante et une forte visibilité » (là, on a bien compris !), mais la fiche de poste réclame également, entre autres multiples compétences déclinées, des qualités « communicationnelles » et « relationnelles », des capacités à « gérer des conflits », à tenir un rôle de « médiation » et de « prévention », en sachant discerner « les signes annonciateurs d’un conflit », avec « patience » et « sens de l’écoute »… On se frotte les yeux ! Mis à part le fait que ces super-contractuels ne pourront être recrutés que sur la planète Krypton ou parmi les X-Men, on constate que la seconde partie du profil de poste présente de troublantes similitudes avec les qualifications de nombre de professions éducatives et, notoirement, avec celles de CPE. Triste époque de confusion des genres… Sachons cependant qu’à Aulnay-sous-Bois, l’EMS est dirigée par un ancien officier de l’armée belge…et espérons que ces « carabiniers » ne mettront pas le feu aux poudres.

Au delà des questions de gros sous, pourquoi déstabiliser ainsi une profession qui constitue un important acquis de Service public. On le comprend trop bien en fait. Une de ses fonctions, ne l’oublions pas, est de lutter dans le cadre de l’École contre les inégalités, les ruptures voire les apartheids scolaires. Les personnels agissent principalement auprès des plus précaires, des plus défavorisés, des plus stigmatisés. Les CPE ont accumulé des connaissances et des savoir-faire aptes à limiter ces phénomènes si leur action était favorisée. On comprendra dès lors l’acharnement à œuvrer à la disparition de ces métiers. C’est le signe, s’il en fallait encore un, que les dirigeants de ce pays n’assignent plus à l’École qu’une fonction de contention pour une masse déjà considérable de jeunes.

« Il est temps pour les acteurs éducatifs de ne plus accepter cette place honteuse et de revendiquer la valeur sociale de leur travail et de leur fonction ; il est urgent de réaffirmer que le travail éducatif est un acte de haute tenue d’intérêt politique et public qu’il faut absolument soutenir et encourager ». Nous faisons nôtre cette profession de foi de Laurent Ott, enseignant, éducateur et universitaire. Nous savons, toutes et tous, que des alternatives efficaces existent. Elles ne relèvent nullement de l’utopie, car d’autres pratiques ont été expérimentées avec succès en France et à l’étranger. Mais ces expériences là n’ont aucun intérêt (en termes de coût financier mais aussi pour les principes qui les inspirent) pour le pouvoir en place peu soucieux de résoudre « (les) questions, aussi difficiles qu’incontournables, du sens de la confrontation aux savoirs scolaires, notamment dans les milieux populaires, de l’auto-exclusion des apprentissages » comme l’analyse le sociologue Étienne Douat.

Le tir de barrage que nous subissons de la part du gouvernement appelle une réaction enfin à la hauteur de la violence des attaques. Il est du devoir des organisations syndicales de fédérer unitairement les prises de positions et les initiatives. La plate-forme adoptée, le 6 octobre 2009, par le Conseil inter-académique d’Ile-de-France de l’Éducation Nationale, à la suite d’un vœu présenté par la CGT, FO, la FSU, SUD-éducation et la FCPE, en est une première étape. Elle se décline en cinq points :

  • ouvrir les classes nécessaires en adéquation avec les vœux d’orientation des élèves ;
  • maintenir et développer les formations permettant aux élèves de trouver une place proche de chez eux dans la filière de leur choix ;
  • créer les postes nécessaires pour assurer le suivi individuel et collectif des élèves, ouvrir les postes aux concours et assurer les besoins du service public notamment en terme de remplacement ;
  • prévoir les taux d’encadrement des élèves indispensables à leur accueil (personnel d’éducation, médico-social, administratif, etc.) ;
  • assurer l’autonomie des jeunes (allocation d’autonomie).

Cette instance s’est prononcé pour l’arrêt de l’expérimentation de la « cagnotte ». En élargissant ce refus à toutes les expérimentations mettant en cause les statuts et les missions des personnels, en dénonçant clairement les Equipes mobiles de sécurité, comme le symbole d’une conception purement policière, sécuritaire, inefficace et dangereuse de l’éducation, nous jetterions les bases d’une plate-forme et d’une action unitaire résolue… Et dans la plus grande urgence, tant l’heure est grave.

Commission Vie scolaire des syndicats SUD Éducation


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